Interview pour Melina Kelooufi et le blog Théâtrice

Dépasser la conscience

Publié le 14 mai 2014 par Théâtrices

Après un passage par l’école du Théâtre National de Strasbourg, elle crée les lumières avec plusieurs metteurs en scène dont Bertrand Bossard, Charlotte Lagrange et collabore avec la compagnie Kobal’t et le groupe La gAlerie. Elle a également été régisseuse lumière pour Denis Podalydès, Eric Lacascade et Jean-François Sivadier.

Rencontre avec l’éclairagiste Claire Gondrexon.

Pour vous, qu’est-ce que la lumière ?

Claire Gondrexon. Un moyen de comprendre ou d’appréhender ce qui nous entoure. Pour moi c’est le filtre premier, celui qui détermine le plus notre perception et notre jugement de ce qui nous entoure. Je suis fascinée par l’impact de la lumière sur les corps, sur les espaces, par la manière dont elle façonne et conditionne totalement nos sens et ainsi notre perception des choses. En fonction de la lumière, certains lieux hostiles peuvent nous paraître d’une douceur incomparable. C’est à la fois une matière poétique et absolument brute. Elle est complètement dépendante d’autres matières concrètes, espace, objet, corps. Elle ne peut exister seule, car elle n’a pas de matière propre. C’est très paradoxal qu’elle soit à ce point importante dans la perception et dépendante des autres éléments pour être vue. Il est d’ailleurs fou de parcourir les installations qui mettent la lumière au cœur de leurs dispositifs (par exemple Ann Veronica Janssen ou James Turrell). Ressentir la lumière comme matière est une expérience déroutante.
Il faut également parler de l’œil lorsque l’on parle de lumière. De la perception physique que fait notre corps face à cette abstraction. De l’analyse théorique qui se produit au moment où l’œil ou le corps perçoivent une image ou ressentent une lumière. À quel point la lumière est abstraite et permet parfois de surprendre l’intellect par les sensations. Le jeu de l’imperceptible et du ressenti est une chose passionnante. Surprendre la conscience, la dépasser par des sensations.

Parlez-moi d’une théâtrice. Quelle influence a-t-elle (eu) sur la femme et/ou l’artiste que vous êtes ?

Marie-Christine Soma est je crois la première qui me vient en tête. Je crois qu’elle a été une des premières femmes à essuyer les plâtres des créatrices lumière. J’ai eu la chance de la croiser à plusieurs reprises notamment lorsque j’étais à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Sa précision et la poésie de ses lumières m’ont beaucoup inspirée et continuent encore à me questionner.
Je pourrais parler également de Véronique Timsit, une femme que j’admire énormément pour sa précision et la rigueur de son travail mais également pour la justesse de sa place en tant que créatrice et femme.
Nous avons la chance d’avoir un paysage théâtral qui se féminise à tous les postes, que ce soit à la mise en scène ou aux postes techniques, que ce soit les éclairagistes ou les électros, régisseuses, machinos… Je m’inspire de leurs démarches de travail ainsi que de la volonté d’être à sa place sans se poser la question de légitimité, ce qui finalement demande le plus de force de caractère.

Quelle est, selon vous, la place faite aux femmes parmi les éclairagistes ? Dans la conception technique ?

Évidemment la question de la femme revient souvent dans les discussions avec mes collaborateurs/trices. Que ce soit dans les postes artistiques ou techniques, nous avons toutes été amenées à nous questionner, et même à prendre position face à des préjugés ou à des idées un peu trop ancrées. Mais je crois qu’avec mon peu d’expérience, ma façon de réagir a évolué. Elle n’est plus dans la réaction mais davantage dans la prise de recul pour ne pas mélanger le travail de création avec les questions de places qui se situent hors de ce temps-là. L’important est, dans le temps de création, de ne pas donner d’importance au genre car c’est justement une question illégitime, qui n’a aucun sens. L’égalité est une évidence qui ne peut être remise en question. Le rapport à ce que l’on crée est trop personnel pour pouvoir être mis dans des cases, il est individuel et sans genre. De la même façon, chaque homme porte sa propre humanité, toujours singulière mais toujours égale. La question d’une éventuelle différence de traitement ne devrait pas se poser. L’important est le projet, ce que l’on veut raconter ou faire ressentir.
En dehors du temps de création, j’essaie de laisser les problèmes se renvoyer à ceux qui les posent. Les mentalités évoluent, trop lentement certes, mais j’essaie à mon échelle de leur faire face sans prêter attention aux préjugés. Je me dis que la bêtise se retourne vers son propriétaire si personne d’autre ne lui accorde d’importance.

Si j’étais ministre de la culture…

N’ayant pas une oreille très attentive à la politique, je crois que j’essaierais de davantage écouter les gens qui sont au centre des questions qui se posent… mais cela me semble un peu facile à dire et je ne suis pas ministre de la culture.

Propos recueillis par Mélina Kéloufi pour le blog des Théâtrices Mai 2014

© Mélina Kéloufi

https://theatrices.wordpress.com/

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